Chapitre 7 : le dénouement !

Plusieurs graffs minimalistes et très design entourent Namur. Qui est leur auteur ? Comment fait-il ? Et pourquoi ces formes ? C’est la raison pour laquelle, avec Cinqmille, nous nous sommes lancés à la recherche d’un graffeur dont le travail nous à tapé dans l'œil. Le graffiti n’est pas un art commun. Bien souvent poussé dans ses retranchements, reclu aux surfaces urbanistiques et bétonnées, il peut être graphique, et recherché. Le graffeur que nous cherchons aime les surfaces cachées, les coins de pont, les cabines électriques, il aime le minimalisme, et ses œuvres ne sont visibles qu'une fois qu’on les recherche. Nous avons retracé la route de ses traces de peinture et avons retrouvé sa trace. Qui est-il ? D’où vient-il? Qu’est-ce qui l’inspire ? Voici l’interview inédite de Cinqmille et … Estefan.

 

Cinqmille : Bonjour Estefan, merci d’avoir accepté de nous rencontrer. Ça fait un petit temps qu’on te cherche. On a réussi à remonter ta trace via notre enquête, et ton travail abonde autour de Namur, alors première question, assez simple  « tu es namurois ? ». 

Estefan : Non, j'ai fait mes études à Bruxelles. J’y ai habité quelques années. Puis après, on est venu à Namur. On est tombé amoureux de la ville, on trouvait qu'il y avait un charme avec la Meuse, une atmosphère qu'on n'avait pas à Bruxelles. On est installés ici depuis quelques années maintenant.

Au début, je n'ai pas fait grand-chose. À Bruxelles, il y a une scène graffiti assez énorme et beaucoup de murs. C’est une autre configuration qu’à Namur. Pendant deux, trois ans, je me suis cassé la tête en me disant « qu’est-ce qu’on peut faire ici ? », j’ai vraiment analysé.

Cinqmille : Tu nous as d’ailleurs fait découvrir des lieux !

Estefan : À Namur, il y a une dizaine de personnes qui peignent au parc de l’IATA et au parc Léopold. C’est semi-permissif. Moi, je cherche des endroits plus adéquats pour faire une peinture, des murs vierges avant tout. Et souvent les murs vierges, on les trouve dans des endroits où personne ne passe, dans des endroits délaissés, abandonnés.

Cinqmille : Mais on n’a pas tout trouvé dans ton Insta !

Estefan : Mon Insta n’est qu’une partie de l’Iceberg. J’y mets ce qui est tolérable. Le but est de rester flou, et de ne pas donner trop d’indices, car ça reste quelque chose de répréhensible.

Cinqmille : Est-ce qu’un pont, c’est répréhensible ? 

Estefan : Ça peut l’être. Mais comparé à un centre-ville où à chaque fois qu’il y a un graffiti, c’est nettoyé, c’est plus tendu. Les cabines électriques à côté, ce n’est rien. 

Cinqmille : On a repéré ton travail à travers les ponts. Qu’est-ce qui t’as donné envie de travailler ce support-là ? 

Estefan : J'ai analysé pendant plusieurs années, voir ce qu'il était possible de faire dans le coin. Les tabliers de pont n'étaient pas peints. J’ai pensé à des formes géométriques. Je me suis dit que le triangle, c'était une belle forme. Et l'avantage avec le triangle rectangle, c'est qu'on a un angle droit, c'est plus facile à tracer.

Cinqmille : Et du coup, tu fais du lettrage aussi ? 

Estefan : J’en ai fais, oui. Depuis que je suis à Namur, je n'en fais plus.

Cinqmille : C’était quoi ton blaze ? 

Estefan : Je préfère rester discret sur ça.

Le pont abandonné le long de la E411 vers Perwez
Le pont abandonné le long de la E411 vers Perwez

"Je suis quelqu’un de très méticuleux. J’ai fait des tests avec mes tapes"

Cinqmille : Et au niveau technique… Spray d’office ? Et tu mets des tapes ? 

Estefan : Oui, c’est du spray. Et je mets des Tapes. Pour avoir de belles lignes droites. 

Cinqmille : Mais comment as-tu trouvé un Tape qui colle au ciment ? Enfin à un pont ?! Et suffisamment large pour qu’il n’y ait pas de débordements ?

Estefan : C’est à force de recherche et de travail. Après voilà, si t’as du vent t’auras quand même des bavures, donc il faut gérer.

Cinqmille : Ça, on ne l’a pas vu. 

Estefan :Je suis quelqu’un de très méticuleux. J’ai fait des tests avec mes tapes.

Cinqmille : Ce qui nous intrigue nous, c’est que quelqu'un qui vienne du graff plus classique, avec des volumes, des choses fluides, coulantes ou arrondies, passe tout d’un coup à du plat, de l’hyper graphique, de l’extrêmement droit.

Estefan : Je l’ai fait avant. J’étais plus convaincu. Et j'aime bien l'architecture. J'aime l'abstraction et jouer avec les vides et les pleins. Le mur a autant d'importance que la peinture. Ils ont des aspérités, des défauts, des traînées de mousse, des coulées d’eau, des clous, etc. Ça a son importance parce que le mur a vécu. Je préfère un vieux mur qui a 30 ans. 

Cinqmille : On a quand même remarqué que tu ne peignais pas sur des murs qui avaient déjà été peints par d’autres. 

Estefan : Oui, j’essaye de trouver des murs vierges parce que peindre sur un mur qui a déjà été peint ça à moins de sens. Et depuis les prémices du graffiti à New York, le but est d’être le premier sur un mur, pour être le mieux vu. Autant innover et faire des nouveaux murs. Je vais à la recherche de murs qui sont bien cachés, comme dans des terrains vagues.

Cinqmille : Comment te déplaces-tu ? En voiture avec ton échelle ? 

Estefan : Oui, enfin pas toujours avec une échelle. Des fois, si je peux travailler sans échelle, je le fais parce que c’est quand même fastidieux de monter, descendre, c’est physique. 

Cinqmille : Tu fais des repérages ou pas ? Sur maps ou tu vas te promener ? 

Estefan : Oui, je fais du repérage, mais de visu, parce que tu dois voir comment accéder à l’endroit. 

Cinqmille : Ça fait longtemps que tu as commencé parce qu’on se rend compte qu’il y a une vaste évolution. 

Estefan : Les triangles sur Namur, depuis 2015.

Cinqmille : Parce qu’il y en a un super vieux sur la E42. Dont voici la photo : 

"Soit c’est un fan ou quelqu’un qui à voulu faire un clin d'œil"
"Soit c’est un fan ou quelqu’un qui à voulu faire un clin d'œil"

Estefan : C’est pas de moi (rires). C’est fait à main levée. Soit c’est un fan ou quelqu’un qui à voulu faire un clin d'œil, j’avais déjà fait les deux côtés du pont, c’est apparu quelques années après.

Cinqmille : Moi celui que j’aime bien aussi, celui que nous avons repéré sur le Ravel à Saint-Servais, il est plus récent. On l’a même vu changer entre-temps.

Estefan : Oui je viens de le refaire. Même la première base je l’ai faite il y a 6 mois. 

Respect des surfaces occupées et évolution du travail d’Estefan
Respect des surfaces occupées et évolution du travail d’Estefan

"Je fais un projet, et après il évolue en fonction de l’endroit où je suis. J’improvise un peu."

Cinqmille : Mais ici, tu as placé ton graff au-dessus des graffitis qui étaient déjà présents. D’habitude, tu réponds surtout à l’architecture et aux modules, ici, tu as répondu aux graffs, mais sans les toucher.

Estefan : Oui, c’est une façon de dire « voilà ça ne m’intéresse pas de repasser sur le type qui fait ça ». Après, peut-être qu’il y a des gens qui vont prendre des échelles et faire quelque chose de plus grand. J’ai pas non plus la mainmise sur les murs que j’ai peints.

Cinqmille : Du coup, je rebondis sur ça, comment ça s’est passé avec les namurois ? Que ce soit Drash, ou le microcosme des graffeurs namurois ? 

Estefan : J’ai rencontré la plupart des graffeurs pendant  le projet « Bister »  (ndlr : en 2015, l‘ex-moutarderie Bister avait elle aussi reçu les créations artistiques du collectif Drash et d’autres graffeurs namurois sous l’égide des Abattoirs de Bomel, de Smartbe et du Comptoir des ressources créatives de Namur).

Cinqmille : Et donc tu as fait la peinture du parking de l'hôtel de ville, mais du coup comment tu concilies ton travail d’indépendant qui peut répondre à des commandes, et ton travail de vandale ? Est-ce que tu en vis ou pas ?

Estefan : Je suis peintre en bâtiment, ça c’est mon job, 80% de mon travail.

Cinqmille : Et donc je suis désolé, j’insiste un peu, mais du coup comment ça se passe avec les institutions comme avec la Ville pour les commandes ? 

Estefan : J’ai participé au Pshitt Festival. C’est là que la Ville a découvert mon travail. Ils ont passé commande pour le parking de l’hôtel de Ville où j’avais carte blanche

Cinqmille : Du coup, ça va tellement bien avec ton métier. Tu fais attention aux coins, à la propreté, à la qualité du mur, à son archi… Mais c’est quoi ton parcours du coup ? Tu as commencé par le graff et tu es devenu peintre en bâtiment ou l'inverse ? 

Estefan : Oui j’ai commencé par faire du graffiti quand j’avais 17 ans. Puis j’ai fait des études artistiques, à l’Académie Royale des Beaux Arts, j’ai travaillé dans la sérigraphie et après, je me suis tourné vers la peinture en bâtiment. Mon travail de graffiti dénote par rapport au graffiti conventionnel où on affiche son nom et puis on fait un décor, on met un personnage. Je fais un peu figure d'extraterrestre vis-à-vis du graffiti conventionnel parce que je n’ai pas de nom, je ne fais pas de lettrage.

Cinqmille : Tu dessines ton projet à l’avance ? 

Estefan : Je fais un projet, et après il évolue en fonction de l’endroit où je suis. J’improvise un peu.

Cinqmille : Et d’ailleurs au niveau des couleurs ? Comment fais-tu ton choix ? Tu as déjà essayé avant ? Tu as une collection comme ça chez toi ? Parce qu’on a jamais repéré deux fois de suite le même usage de couleurs…

Estefan : Mon but, c'est de faire à chaque fois quelque chose de différent, aussi bien dans la conception des formes géométriques que dans le choix des couleurs et des harmonies de couleurs. Mais il y a des endroits qui sont plus difficiles d'accès. Donc je prends moins de matériel quand je monte sur une échelle pendant 2 heures. Sur un mur où je suis posé, je peux utiliser 10 teintes différentes. 

"Sur un mur où je suis posé, je peux utiliser 10 teintes différentes."
"Sur un mur où je suis posé, je peux utiliser 10 teintes différentes." - Pont sur la E42

"Je ne fais pas de sport, mon sport à moi, c’est le graffiti…"

Cinqmille : Tu as dit que tu dessinais à l’intérieur, tu faisais des croquis, mais est-ce que tu fais des choses pour toi-même sur papier ou toile ?

Estefan : Je peins des toiles, j’ai des cadres tout ça, mais ça prend plus de temps. Donc quand j’ai deux heures devant moi, je préfère aller peindre un mur. Ça ira plus vite et le résultat sera instantané. 

Cinqmille : Tu as souvent des projets ou tu peux prétendre à un cachet, ou des commandes ? 

Estefan : Non, très peu. On est en Belgique. Le pays est un peu à la traîne par rapport au reste du monde.

Cinqmille : C’est une façon de t’évader ? 

Estefan : Oui. Je ne fais pas de sport, mon sport à moi, c’est le graffiti…

Cinqmille : Et tu vas partir à Québec, avec Demis, et Sam* ? C’est une chouette opportunité ? Comment tu le sens ? 

Estefan : On a eu quelques informations. On sait où on va, mais on verra ce que ça donnera. C’est un beau challenge. (Ndlr : ils sont déjà rentrés et vous pouvez aller voir leur travail sur la page insta “streetartinaction” dont cette chouette vidéo sur le travail d'Estefan)

Photo du travail d'Estefan à Québec - Source Instragram Streetartinaction
Photo du travail d'Estefan à Québec - Source Instragram Streetartinaction

Cinqmille : C’est où la peinture la plus lointaine ? Gembloux ? Charleroi ? 

Estefan : Je peins principalement dans la région namuroise.

Cinqmille : Ce qui est vraiment intéressant dans ton travail, c’est que quand tu le repères ça reste dans la tête, tu ne peux pas t’empêcher de les chercher, de le voir. Ce qui n’est pas le cas avec des graffitis où c’est juste un blase. 

Estefan : Les initiés ont difficile. Je trouve que c'est un challenge de faire quelque chose de différent à chaque fois. J'essaye de ne pas être répétitif.

Cinqmille : Moi, je me posais une dernière question quand même, tu as fait les Beaux-Arts, et je sais que dans les écoles on te cadenasse pas mal à une certaines façon de travailler très muséale, donc est-ce que tu as l’impression d’être fidèle à ce que tu as appris, ou est-ce que tu as fais une sorte de 180° vis-à-vis de ça ? 

Estefan : Les études artistiques m’ont donné un certain bagage mais au quotidien, il y en a pleins d’autres à glaner.

Cinqmille : On a tripé avec toi, en se demandant parfois comment tu étais passé ? 

Estefan : Observation et persévérance sont deux caractéristiques que j’applique au quotidien.

Cinqmille : Comment nos lecteurs peuvent-ils suivre ton travail ? Aura-t-on la chance de croiser à la troisième édition de Pshitt?

Estefan : Je serais présent au Pshiiit festival. Mon travail est aussi visible sur mon instagram : estefan_abstract.

Cinqmille : Un énorme merci d'avoir bien voulu nous dévoiler tout ça et répondre à nos questions ! 

 

Conclusion

Ce que nous retiendrons de cette expérience d’enquête et d'absorption de cette esthétique graphique et colorée, c’est que, si on cherchait à accorder une définition minimale au graffiti, on pourrait le réduire à un acte, simple, essentiel, pure, celui de poser de la peinture sur un mur. Estefan nous renvoie dès lors aux sources, aux origines, à la genèse. Formes, couleurs et surface. Less is more. Une minimum d’effort pour un maximum d’effet.

Quant à nous, l’esthétique d’Estefan nous a charmés, emmené dans des chemins inattendus et fait naître de puissants sentiments dans nos cœurs. Namur n’a pas fini de nous faire rêver par la richesse créatives de ses artistes. Il nous reste juste à vous remercier chers lecteurs de Cinqmille, qui nous avez suivis dans cette aventure !

Et si vous en voulez encore, n'hésitez pas à vivre l'enquête grâce à la carte interactive et à découvrir/ajouter les peintures d'Estefan.

Publié le 30 Août 2023 par
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