Résumé de l’épisode précédent :
Plusieurs graffs minimalistes et très design entourent Namur. Qui est leur auteur ? Comment fait-il ? Et pourquoi ces formes ? C’est la raison pour laquelle, avec Cinqmille, nous nous sommes lancés à la recherche d’un graffeur dont le travail nous à tapé dans l'œil. Le graffiti n’est pas un art commun. Bien souvent poussé dans ses retranchements, reclu aux surfaces urbanistiques et bétonnées, il peut être graphique, et recherché. Le graffeur que nous cherchons aime les surfaces cachées, les coins de pont, les cabines électriques, il aime le minimalisme, et ses œuvres ne sont visibles qu'une fois qu’on les recherche. Mais qui est il ? Qu’est-ce qui l’inspire ? Arriverons-nous à le rencontrer ?
Chapitre 4 : “Il n’est pas partout”
Trois triangles rectangles noirs soulignés aux hypoténuses, symétrie, rotation, une face, cabine électrique. Un triangle rose dans un triangle turquoise, culée d’un pont. Petit triangle orange sur angle rectangle d’un triangle bleu, rotation, petit triangle orange sur angle rectangle d’un triangle vert, extrémité tablier d’un pont. Trapèze rouge, rotation, trapèze bleu, rotation, triangle rectangle vert, extrémité tablier d’un pont…
Beaucoup de triangles, de trapèzes, de couleurs pures, de rotation, de symétrie, d’expérimentation de compositions équilibrées. Mais toujours aucune signature. Quelle sensation étrange que celle qui nous envahit quand les images semblent devenir si familières, presque intimes. Quelle sensation étrange quand elles se révèlent au fur et à mesure de la traque, que leur histoire se trace, qu’on évolue avec elles. Quelle sensation étrange que celle qui nous envahit quand l’on se souvient que ces formes ont une vie qui nous précède, une naissance,... un auteur qui lui demeure inconnu.
Les jours passent, et le profil de notre artiste graffeur se construit petit à petit au fur et à mesure de nos explorations, mais toujours pas de nom. En rentrant d’un job, en passant par Temploux, je repère encore une peinture de notre graffeur. Cachée sur la gauche du pont. Je m’arrête et me rapproche. La végétation était trop présente pour que je puisse m’approcher. Mais j’ai bien entendu fait une photo :
En revenant vers ma voiture, je croise quelques mètres plus loin une borne électrique sur laquelle un sticker “Je suis partout” est encore apposé à proximité. Est-ce lui ? Ça me tourne dans la tête. Une seule façon de le savoir, le contacter. Même si la co-autrice de cet article me signifie que ce n’est pas du tout le style de Thierry Jaspart, je n’en démords pas et me lance. Un simple DM via messenger, sans savoir s’il répondrait.
Bonjour, Je suis rédacteur pour le média Cinqmille. Je me permets de vous contacter parce que j’aurais aimé faire une interview de vous, dans le cadre d’un article sur des « mystérieux » graffs qui sont apparus sur les ponts des autoroutes, et des cabines haute tension, tout autour de Namur. On aimerait savoir qui fait ces graffs. Savoir si c’est vous, l’artiste. Et que ce soit vous ou non parler de votre travail global (l’enquête ici est un prétexte pour mettre en visibilité quelques streets artistes du coin). Merci à vous. Belle fin de journée.
Thierry Jaspart est le seul non street artiste du street art. Un doux mélange entre du vandalisme gentil et du graffiti poli. Un provocateur des bonnes consciences des graffeurs indélicats. Il s’amuse avec des petits ou monumentaux autocollants retirables, ou de la peinture lavable, au niveau zéro du crime. Ses actions se moquent et s’amusent des clichés du peintre de rue habituel. “J’existe” ou “Je suis partout” sont des messages forts, des concepts à multiples interprétations potentielles. Des jeux de matraquage à réflexion sur le fait même d’afficher sa signature à répétition en tag sur les murs. Même si “Je suis partout” est visuellement géométrique, graphique, en aplat et en contours pures, il demeure symbolique, figuratif et invariable en dehors de ses couleurs. Bien loin de notre expérimentateur des formes, qui fait cela en toute discrétion, pour l’amour de la composition.
Mais était-ce lui ? La réponse ne se fit pas attendre.
Et donc même si certains choix de surfaces ou de localisations étaient similaires, ce n’était donc pas la même personne. Peut-être est-ce mieux ? J’aime bien les artistes productifs, mais je préfère deux artistes dont j’apprécie le talent au lieu d’un ! La co-autrice de cet article souligne le fait qu’elle me l’avait bien dit.
Cela étant, de ce fait, il faut se replonger dans l’enquête. Un graffeur, qui opère dans le grand Namur, qu’on ne connaît pas dans les “headliners” namurois, mais qui est hyper productif.
Chapitre 5 : “Profiter de ses réseaux… sociaux”
Éplucher, trier, enquêter dans le fond. Rien de ressemblant sur la page internet de la ville de Namur consacrée au Street Art et à sa “balade”. Leur page facebook “Namur Street Art” nous montre cependant quelque chose de plus convaincant : au 31 mars 2022, une galerie photos de fresques graffées aux alentours de la place Léopold provoque notre œil. Plus monumentale, plus des formes alambiquées, mais toujours sur base du triangle rectangle, en aplat et en 3-4 couleurs maximum, une fresque résonne avec l’univers du graffeur pisté. Mais pas le temps de traiter cette piste.
Car forcément, on en parle aussi de plus en plus autour de nous, et au détour d’une conversation quelqu’un me lance “c’est un pote à MacGill”. Ah ! Voilà. Là, on tient une piste. MacGill, il était présent notamment à “BRUUT, la banque explose”, résidence organisée dans l’ancienne Fortis de la rue des carmes par le Comptoir des Ressources Créatives en 2022. On peut le tracer. Quelques vocaux et coups de fil plus tard, nous voici donc en train de stalker plusieurs profils et photos. McGill c’est quelqu’un qui est aussi dans l’entourage de TRAMA. Donc direction l’Instagram de TRAMA. Et au bout de quelques Scroll, les photos du mur du TRAMA pendant la première édition du Pshiiit Festival, enfin le voilà …
Notre artiste est donc référencé, il n’opère pas uniquement en vandale. Et en plus l’organisation du Pshitt, on les connaît, ce sont des copains. Et entre-temps, une autre personne nous renvoie vers le parking de l'Hôtel de Ville, en disant “ça ressemble un peu”. Mais une fois sur place, impossible de trouver une signature.
Beaucoup de pistes apparaissent en un instant. Laquelle explorer en premier ? La piste liée au Pshitt festival est la plus concrète. Le premier appel est lancé.
“Yo, la forme ou quoi ? Dis je suis sur la piste d’un graffeur namurois, qui fait des trucs super graphiques à base de triangles, et de trapèzes, avec des couleurs, … Tu vois de qui je veux parler ?”
Et voilà c’est comme ça qu’une enquête se résout à Namur. La ville est tellement petite, la culture est tellement cantonnée à de petits endroits, que forcément tout le monde se connaît. Demis m’annonce que oui il voit de qui je veux parler.
Forcément le milieu est bienveillant, et donc il ne peut pas me donner directement son contact. “Je vais lui donner ton numéro et on verra bien s’il te rappellera”.
Entre temps on explore les réseaux sur base des infos, des amis des amis qu’on a et un compte Instagram à vraiment l’air de coller. Ça y est ! On l’a !
Au même moment, alors qu’on fête notre trouvaille, j’aperçois Sam*, graffeur namurois pour lequel j’ai une admiration infinie et qui a forgé une bonne partie des bases graphiques de ma vie. Je lui raconte la recherche, l’enquête, lui montre les photos. Et il m’annonce qu’il va partir à Québec pour un événement de graff international avec notre homme.
À ce moment-là très exactement depuis le début de notre enquête nous n’avons jamais été aussi proche de notre proie.
Chapitre 6 : “Le téléphone sonne”
Et le lendemain, mon téléphone sonne. Un numéro que je ne connais pas. Je décroche. C’est lui ! Je lui explique notre démarche. Ce pourquoi nous aimerions pouvoir l’interviewer. Il hésite. Mais accepte. Enfin ! Enfin nous allons pouvoir le rencontrer.
Dévoiler un graffeur, un “vandale”, un artiste anonyme, sans même un pseudonyme? Est-ce légal? Alors que l’on associe bien souvent les mots "artiste" à "célébrité" il semble, à notre époque, contradictoire d'appairer ce terme avec “anonyme". Ce choix de l’anonymat peut paraître paradoxal, mais dans le cas des graffeurs c’est parce qu’ils y sont contraints. Aussi, à l’ère de la popularité des super-héros, il est bon de rappeler que l’anonymat est, à sa manière, un super pouvoir, une marque de talent, le talent de demeurer caché en plein vue. Une marque d’humilité, celle de nous offrir le beau sans rien obtenir en retour. De quoi se jouer avec nos nerfs d’enquêteurs-rédacteurs. Pourrons-nous vous le dévoiler?
Dans le dernier épisode :
Nous aurons la chance de vous partager l’interview de notre graffeur, de vous dévoiler un peu de lui, de sa façon de travailler, de sa passion. Rendez-vous la semaine prochaine, mardi 29 août, pour le dernier épisode de votre saga de l’été !