Nous sommes deux, deux chroniqueuses qui croisent leurs regards sur leur expérience à l’Intime festival pour cette édition 2023. Sylvie s’y rend le samedi, Cathy l’y rejoint le dimanche. Dans ce texte, nous confions ce qui nous a bouleversé, saisi, chagriné, mais aussi ce qui nous a plu par sa légèreté. Nous l’écrivons en JE car nous l’avons vécu ensemble, mais avons vibré séparément pour des instants différents. Le tout donne le ton d’une édition riche en émotions, vivement 2024 ! 

 

Sylvie : samedi, des émotions en entrée, du rire en dessert

Pour ma part, mon choix s’est porté sur le bouleversant film-documentaire « Petites » projeté le samedi matin à l’Intime Festival Cette de la carolo Pauline Beugnies, autrice, journaliste et réalisatrice engagée. Cette œuvre m’a offert un regard inédit et interpellant, à travers la génération d’enfants belges de l’époque, sur les multiples impacts que ces mêmes jeunes ont subis, pendant et à partir de la tragique affaire Dutroux. 

Cette affaire épouvantable a marqué l’histoire belge de manière indélébile en 1996 lorsque, Julie et Melissa sont découvertes décédées, victimes d’un monstre pédophile récidiviste. Mes tripes réagissent comme à l’époque. Je me souviens. Je citerai également An, Eefje, Sabine et Laetitia, toutes les victimes du même auteur, tant leur courage face à l’horreur vécue est à souligner. Au fil des images, je revois les fouilles, la libération de Sabine et Laetitia sauvées in extremis, la dignité des parents des victimes face au carnaval de la justice, la symbolique marche blanche aussi, montrant l’union d’un pays au peuple révolté, peuple impuissant, mais à l’unisson dans la souffrance face aux crimes abjects. 

C’est alors que m’apparaissent dans ces terribles souvenirs, un autre pan de la tragédie (pan mis en avant pour la 1ʳᵉ fois, il me semble) : Être enfant en Belgique dans les années 90, être la génération avant-après. Avec cette œuvre poignante, Pauline Beugnies, elle-même de cette génération (elle avait 12 ans en 1996), capture la réalité des jeunes par le biais d’extraits vidéos familiaux amateurs de l’époque et de témoignages actuels (voulus volontairement anonymes). Elle invite avec intelligence à une relecture de l’époque sous un prisme jusque-là occulté, celui des enfants, en qualité de réels dommages collatéraux. Elle donne la parole aux oubliés de l’époque, qui avait entre 6 et 17 ans et nous confronte aux émotions brutes de cette génération devenue adulte maintenant. Car oui, « on » avait sous-estimé, ou du moins pas assez pris en compte l’exposition continue, que permettait la télévision, principal média d’alors, auprès des enfants se prenant l’horreur de plein fouet via une hypermédiatisation crue et sans beaucoup de dialogue ou explications des parents déjà tellement choqués par le direct. 

La capacité d’analyse des évènements de ces victimes indirectes impactées sans filtre dans leur intimité familiale, dans l’innocence de l’enfance, se ressentira via leur nébuleuse conscience des émotions des parents, leurs nouvelles frayeurs, par la perte de confiance sous-jacente aux dysfonctionnements de la justice et de ses pouvoirs, par l’absurde des procédures folkloriques qui s'ensuivront, par la découverte de la sexualité via la pédophile affichée… Cela les marquera à tout jamais dans la relation à la sécurité, à l’espace et à l’insouciance. Rien ne sera comme avant. Brutalement. Salement. 

L’angle volontairement pris par Pauline Beugnies avec « Petites » est indéniablement celui de la réception de l’affaire, moins de l’affaire en elle-même. Elle veut justice pour ces oubliés de ce sombre tournant belge. Ils s’expriment enfin au travers de son pertinent documentaire sur leurs souvenirs traumatiques et les incompréhensions ressenties dans leur jeune âge au sein même de la structure familiale. Puissamment émue, je ne doute pas un instant que le but du film de l’artiste est d’ouvrir la discussion pour continuer l’action d’antan ; ce sera fait avec le débat prévu faisant suite à la projection. 

De cette discussion animée en présence de l’autrice Pauline, j’en retire que Monsieur Gino Russo nous a honoré de sa présence malgré une volonté de retrait compréhensible face aux médias au cours de ces dernières années. Des questions d’avancées pour les victimes ont été soulevées en présence de Monsieur Gabriel Ringlet, prêtre-universitaire iconoclaste et participant au programme de gestion de la faculté de droit et de criminologie , où sont inclus des programmes liés à la justice au sein de l’Université Catholique de Louvain. Le combat contre tous les types de violences envers les enfants ne doit jamais cesser. La question de la responsabilité individuelle et collective, oh combien d’actualité, non plus. Je retiens, retenons tous qu’il est toujours important de resserrer les liens profonds entre enfants et parents via dialogues et prise en compte de chacun au quotidien. 

 

Après cette matinée émotionnellement difficile, je me retrouve être aux antipodes des sentiments de tristesse pour ma soirée au Théâtre de Namur. Je me laisse emmener dans un voyage au cœur d’une célébration improvisée. 

Le talentueux maître de cérémonie Edouard Baer y présente « le Journal de Namur » pour sa deuxième édition. C’est au détour d’un tourbillon de joie, de créativité et d’émotion qui mérite le détour que l’artiste prouve à nouveau son indéniable talent. Sa capacité à créer une atmosphère captivante et enchanteresse est remarquable. Il est l’humble chef d’orchestre d’un univers insolite où l’humour, la poésie, la finesse et l’absurde se côtoient harmonieusement.

Mais comment s’y prend-il ? Ce projet est bien plus qu’un simple spectacle. Il repose sur la découverte de talent namurois inattendus, rencontré lors d’un casting ouvert à tous. Enfants, adultes, chanteurs, jongleurs, commerçants ou orateur – une chorale, un monologue, une danse, un silence ou des cris au menu d’un pétillant samedi soir. Dès la première prise de contact avec les volontaires, Edouard relève le défi de trouver comment présenter les propositions artistiques (au sens large) des Namurois et animer la scène les mettant à l’honneur. Une place prépondérante est donnée à l’improvisation afin que le bal de ces participants volontaires du spectacle soit au plus près de la note poétique que rend la belle authenticité de ces héros imprévisibles. On y ajoute la touche de magie Baer, de poésie pour les mettre en musique, et hop ! 

Il est certain que, ce qui rend « le Journal de Namur » encore plus spécial, c’est l’implication des personnes courageuses montées aux planches de la scène pour un moment de créativité spontanée avec Edouard Baer parfois flanqué de son ami Tito, au manteau atypique. 

À mon sens, une dimension éclectique et unique à la représentation ne peut pas mieux être créée, car personne ne sait vraiment ce qui va se passer. De mon point de vue de spectateur, le moment revêt une connexion sincère entre volontaires et avec le public. Ils apportent l’inédit positif dont nous avons tous besoin. Leur enthousiasme ressource mon esprit dans une douce légèreté. Simplement, je ressens qu’ils se racontent face à moi, au public. Tous m’offrent une partie de leur propre histoire et de leur énergie. Le spectacle se déroule, l’auditoire est transporté. Avec son charisme naturel, Edouard a encore une fois guidé cette aventure artistique avec humour et poésie, créant une expérience inoubliable qui célèbre la créativité, l’improvisation et la magie des artistes inconnus.

 

Aliyeh Ataei  photographiée par MV Gillard.
Aliyeh Ataei photographiée par MV Gillard.
La frontière des oubliés - Dominique Reymond - Photo par MV Gillard
La frontière des oubliés - Dominique Reymond - Photo par MV Gillard

Dimanche : entre vécus étrangers et voyage radiophonique (Cathy)

Ce dimanche 20 août 2023, je choisis de me rendre à une grande lecture, le titre m’inspire : « La frontière des oubliés » de Aliyeh Ataei dont le texte est lu par Dominique Reymond. Cette écrivaine de l’observation d’une quarantaine d’années nous parle de dignité humaine, mais aussi de son (des) combats pour une avoir des droits dans des nations où les femmes sont peu (ou quasi) pas reconnues. Les récits qui composent la « Frontières des oubliés » sont forts et authentiques, l’auteure qui quitte, enfant, l’Afghanistan pour Téhéran nous transmet l’histoire avec une pointe d’humour (parfois noir) de ses compatriotes exilées.  Elle nous conte aussi son père. Elle évoque aussi comment, enfant, elle côtoie sa maladie psychique dans des contrées où les traitements sont plus expérimentaux qu’efficaces. Je tressaille quand j’entends le poids porté par cette petite fille fragile qui fuit son pays d’origine, qui se déracine. Je prends le temps d’une lecture, en plein visage, la douleur de ces femmes fortes arrachées à leur patrie. Je prends conscience de ma chance, celle d’une Belgo-Italienne, petite fille d’immigrés qui a l’opportunité de rentrer chaque année en sécurité dans son « bled ».

 

Après ce moment qui me secoue, je passe dans l’Amphithéâtre où j’écoute les extraits dynamiques du livre « Ainsi pleurent nos hommes » de Dominique Célis. Agrégée en philosophie, l’écrivaine mi-rwandaise, mi-belge nous transporte dans une fiction rendue (plus) légère malgré le poids de son contenu. Les romans sur le génocide des Tutsis par des Hutus au Rwanda en 1994 sont nombreux, mais Dominique Célis nous soumet un autre point de vue. Elle opte pour la version d’une enfant de victimes qui conteste la banalisation des faits. On rit intérieurement quand on entend « Ici les bières, on les sert comme les couilles, par paire. » Nul doute qu’il est possible de dévorer ce livre tant « cru » que poétique qui nous relate une histoire d’amour poignante dans un Rwanda actuel, plein de cicatrices, où l’oubli s’avère complexe, voire impossible. 

 

Nous finissons notre festival par une plongée en binôme avec Sylvie dans l’émission « Le temps des fleurs » diffusée en direct pour l’occasion sur Radio Chevauchoir. Des groupes d’habitants de la maison de repos Le Grand Pré et des résidents de l’hôpital psychiatrique Beau Vallon à Namur animent. Parmi les artistes reçus lors de l’émission, pointons Lize Spit dont l’opus nous interpelle. Cette jeune auteure belge féminin signe un premier roman à succès en 2016 : « Débâcle ». L’ouvrage connaît un succès fulgurant en Flandre avec effet boule de neige. Lize est rayonnante et la lire doit être un moment magique . Elle partage, dans ses écrits, la vie quotidienne dans les petits villages en Flandre. On est transporté. Son roman « Débâcle » est un thriller, une histoire inattendue et alléchante. Cette trentenaire épate par son style inattendu et sa simplicité lors de l’interview. J’ai, pour ma part, commandé l’exemplaire illico presto et ne suis qu’au début de mes découvertes…

 

Conclusion : pas de regrets, que des rendez-vous pour nous et vous ?

Conscientes de notre chance de pénétrer dans des univers intimistes pendant ce festival, nous savourons avec passion les textes déclamés lus ou discutés. Si l’échange n’est pas toujours possible en direct avec l’auteur, nous interagissons avec lui en extérieur, en aparté quand c’est faisable. Si pas, les références fournies nous permettent d’approfondir nos coups de cœur et d’alimenter nos pensées. Merci à ces auteurs qui confient leurs parcours parfois difficile, l’auditoire ne peut que se réjouir de s’enrichir ! 

Publié le 9 Octobre 2023 par
Cathy

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